En près d’un an au Québec, j’ai entendu des montagnes de stéréotypes sur les Français. Moi qui pensais que les Français en avaient bien plus sur les Québécois que l’inverse, je crois que c’est l’inverse, finalement… Une bonne partie est justifiée, mais il y en a un qui revient toujours et qui finit par rendre nerveux : les Français passent leur temps à employer des termes anglais par « snobisme », dit-on.
Oui, il y a quelques termes anglais qu’une certaine élite utilise (« brainstorming », par exemple) pour se donner de l’importance, mais quelques journalistes ou quelques chefs de « start-up » ne représentent pas toute la population ! Beaucoup de mots anglais sont aussi utilisés de façon ironique, pour plaisanter sur une personne, un lieu, en donnant une dimension « world company » à quelque chose de peu important…
Et puis, il n’y a pas qu’en France qu’on parle le français européen en tant que langue maternelle. Il y a également la Belgique (Wallonie et Bruxelles), la Suisse romande, le Luxembourg, l’Italie (Val d’Aoste)… Donc le français européen est 10 fois plus parlé que le français canadien, et les Bruxellois ou les Genevois sont tout aussi responsable de l’utilisation des anglicismes suivants que les Français.
Donc quand les Québécois critiquent telle ou telle manière de parler des « Français de France », ils critiquent à peu près tout le reste de la francophonie (les Africains suivant généralement la version européenne) ! Surtout que les Québécois (leur élite exceptée) utilisent bien plus d’expressions anglo-saxonnes que les Français. Cela dit, je suis le premier à rejeter des anglicismes stupides comme « pressing » et à parler de « stationnement » ou de « magasinage », pour essayer de convertir mes compatriotes de France ! 😉
Les anglicismes utilisés couramment en français européen et peu utilisés au Québec
- parking, parfois aussi utilisé (à l’oral) au Québec. En France, le mot « stationnement » désigne l’action de stationner, comme dans « stationnement réglementé », mais pas le lieu où l’on stationne son véhicule. D’où l’emploi de l’anglicisme « parking ». Mais en France, pas question de parler de « no parking », ni à l’écrit, ni à l’oral : « stationnement interdit » est l’unique expression, et on ne « parke » pas sa voiture, on la « gare ».
- shopping. Ah, le fameux « shopping » qui scandalise les Québécois ! Mais il faut préciser que « shopping » désigne surtout l’achat de chaussures ou de vêtements, en général (synonyme : le « lèche-vitrine », aussi utilisé que « shopping »). Pour parler des achats courants, on dira simplement « faire des courses », « faire son marché »… Quant au « magasinage », il s’agit en français standard (Larousse) de mettre des articles en magasin, pas de les acheter, d’où la réticence des Français à utiliser ce mot, bien que la plupart d’entre eux connaissent sa signification québécoise.
- week-end. Non non non, le week-end et la fin de semaine ne sont pas la même chose ! « Week-end » a une connotation de détente, de vacances, plus forte, et « fin de semaine » est une expression ambiguë en Europe, car elle peut désigner le samedi et le dimanche, mais aussi la période du vendredi au dimanche, ou alors carrément la fin de la semaine de travail, c’est à dire le jeudi et le vendredi seulement (exemple dans une école : « vous aurez un examen en fin de semaine »). Donc « week-end » n’est pas un anglicisme inutile. D’ailleurs, il est de plus en plus utilisé au Québec, particulièrement à Montréal.
- pressing. Là je suis d’accord, c’est un mot anglais inutile et que les anglophones n’utilisent même pas (ils disent « dry cleaner’s ») ! Le terme québécois « nettoyeur », traduction intelligente de « cleaner » et le terme classique français de « blanchisserie » sont bien plus appropriés à mon avis ! Ou à la limite « repassage », « repasseur », qui serait la traduction de « pressing »…
- footing. Encore un mot inutile et entièrement créé par les Français, puisqu’en anglais, il n’a rien à voir avec le « jogging » (anglicisme justifié et utilisé des deux côtés de l’Atlantique), qui est à peu près son synonyme en France.
- ferry (traversier), sponsor (commanditaire), et quelques autres, dans les domaines techniques…
La prononciation des mots anglais par les francophones d’Europe
Ah, grand débat encore. À entendre les Québécois, les Français veulent mettre des mots anglais partout mais « ne savent pas » les prononcer. Si, en général, ils savent (à peu près) les prononcer, mais contrairement aux Québécois, ils ne sont pas nés dans un pays satellite des États-Unis (je dis ça sans intention péjorative !), ce qui fait que pour la plupart des Français, l’anglais ne sonne pas du tout naturel à leurs oreilles. C’est une langue étrangère, au même titre que l’allemand ou que le portugais, voire même plus, car les sons de l’anglais sont très différents de ceux de la plupart des langues européennes.
Si les Français savaient comment les Québécois prononcent « Hyundai » ou « Ericsson » à l’américaine, ils riraient sûrement, car ces deux marques ne sont pas plus américaines que José Bové! Quand on a à prononcer un mot étranger, on le prononce à la française, où à moitié selon sa langue d’origine et à moitié à la française. Pas besoin de se tordre la bouche pour sortir un « hamburger » avec des « R » plus américains que ceux des Américains eux-mêmes !
Quand les Montréalais sont fiers de bien prononcer ce genre de mots, les Parisiens sont fiers de les martyriser, montrant qu’ils se foutent de la façon américaine de les prononcer et qu’ils n’ont pas à faire plus d’efforts que les Anglophones eux-mêmes quand ils prononcent « cul-de-sac » ou « Montreal » ! (« cale-de-sec » et « Monn-trwi-ol »). Et en France, c’est le Québécois qui aura l’air snob, avec sa prononciation ! (là je ne dis pas qu’il y a une façon de faire mieux qu’une autre, moi-même j’utilise les deux, mais je veux juste montrer que les deux sont justifiées, et qu’un « hi-fi » prononcé à la française n’est pas plus ridicule qu’un mot japonais ou allemand prononcé à l’américaine par un francophone québécois).
Et il faut ajouter que les Français en général n’aiment pas traduire les titres de films américains si la traduction en français a l’air artificielle (Les garçons ne pleurent pas pour Boys don’t cry, par exemple). Ce n’est pas forcément par snobisme, pourquoi traduire son titre à tout prix, en risquant de dénaturer son sens! Mais j’admets que de voir « Matrix reloaded » sur les affiches françaises a le don de m’agacer ! Même chose pour les Chicken McNuggets, nom que l’on n’a pas traduit car « Poulet McCroquettes » aurait sonné artificiel et, en France, les croquettes, c’est pour les chiens !
Anglicismes les plus utilisés au Québec
Je n’en ai fait qu’une sélection, car un dictionnaire de près de 400 pages, le Colpron, les répertorie d’une manière plus exhaustive (mais il en met un peu trop à mon goût, car certains ne sont pas vraiment des anglicismes). Je n’ai mis que ceux que j’avais eu l’occasion d’entendre plusieurs fois. Deux types d’anglicismes sont les plus courants au Québec : ceux comme « application », où l’on prend directement un mot anglais et on l’adapte à la française, alors qu’il signifie autre chose en français ou qu’un autre mot français existe déjà, et les anglicismes lexicaux (switcher, checker…). Entre parenthèses, son équivalent en France (et souvent aussi au Québec, du moins à l’écrit). Pour plus de clarté, j’ai exclu ceux qui s’utilisent couramment en France aussi (e-mail, crash, leadership, business, etc.).
- accomodation (hébergement, capacité d’hébergement)
- a.m., p.m. (2 p.m. = 14 h. A.M. et P.M. viennent du latin mais sont des formes anglo-saxonnes).
- anyway (en tout cas, quoi qu’il en soit)
- applicant, application (candidat, candidature)
- appointement (rendez-vous)
- background (arrière-plan, contexte, origine…)
- badluck, badlucké (malchance, malchanceux)
- bag : sleeping bag (sac de couchage)
- balance, balancé (solde, équilibre, équilibré)
- balloon/balloune (ballon, bulle)
- batch (lot, paquet)
- beat (rythme, tempo)
- binnes (fèves)
- bleach (décolorant, eau de Javel)
- blender (mixeur, mélangeur)
- booker (engager, inscrire, réserver…)
- bouncer (videur)
- Boxing Day (la Saint-Étienne)
- braker (freiner, ralentir)
- break (pause, répit)
- bright (intelligent, subtil)
- bumper (pare-chocs)
- burnout (surmenage)
- canceller (annuler, décommander)
- canne (boîte, cannette, boîte de conserve)
- car wash (station de lavage)
- cartoon (dessin animé, bande dessinée)
- cash (comptant, en liquide, en espèces)
- cassé (à sec, fauché)
- catcher (attraper / piger, saisir, comprendre)
- chance (possibilité, occasion, risque)
- change (monnaie)
- charcoal (charbon de bois)
- charge (frais), charger (facturer)
- cheap (bon marché / avare, radin)
- checker (jeter un oeil, vérifier, inspecter, enregistrer…)
- check-up (bilan, inspection…)
- chiffre/shift de nuit (quart de nuit, équipe de nuit)
- chop (côtelette)
- choqué (consterné)
- clutch, clotche (embrayage)
- coat/jacket (manteau, blouson)
- compétition, compétitionner (concurrence, concurrencer)
- cute (mignon, joli…)
- darts (fléchettes)
- dash (tableau de bord)
- date (sortie, rendez-vous) – à date (pour l’instant)
- deadline (échéance, date butoir, date/heure limite)
- deal (marché, affaire) – package deal (forfait, accord global)
- dealer avec (négocier, traiter, faire face à)
- décade (décennie)
- (sun)deck (terrasse)
- défroster (dégivrer)
- déplugger (débrancher)
- domper/dumper (déposer, laisser tomber, déverser…)
- doorman (concierge, portier)
- downloader (télécharger)
- drink (boisson, comsommation, verre)
- dropper (lâcher, abandonner, décliner)
- dull (morne, ennuyeux)
- egg roll (nem, rouleau impérial, rouleau de printemps)
- exhaust (échappement)
- faker (simuler, feindre)
- fan (ventilateur)
- feedback (réaction, commentaire, retour)
- first aid (premiers soins)
- fitter (convenir, correspondre)
- flasher (clignotant)
- flashlight (lampe de poche, torche)
- flat (dégonflé, crevé)
- flusher (tirer la chasse d’eau / plaquer)
- flyer (voler, déguerpir)
- foreman (chef d’équipe, contremaître)
- frame (armature, cadre…)
- full (plein, complètement)
- gamique (manigance, combine)
- gang (groupe, bande – utilisé en France uniquement pour parler d’un groupe criminel)
- gaz (essence)
- gun (arme à feu, pistolet, fusil)
- helper (assistant, aide)
- insécure (inquiet, peu sûr)
- intercom (interphone)
- job (boulot, travail – utilisé en France uniquement pour parler d’un petit boulot)
- joke (blague, farce, attrape…)
- lap top (ordinateur portatif/portable)
- légal (juridique) – aviseur légal (legal advisor) : conseiller juridique
- lifeguard (maître-nageur, sauveteur)
- lift (donner un) (déposer, emmener)
- lighter (briquet, allume-cigares)
- location (situation, emplacement)
- lousse (loose) (lâche, desserré, en liberté…)
- make-up (maquillage)
- malle (mail) (courrier)
- moppe (mop) (serpillère)
- muffler (silencieux, pot d’échappement)
- napkin (serviette, essuie-tout)
- off (libre, en congé)
- offense (délit, faute…)
- one-way (sens unique)
- opérer (faire fonctionner, exploiter, être en activité…)
- overtime (heures supplémentaires, heures sup’)
- package (forfait)
- packsack (sac à dos)
- pamphlet (brochure, dépliant…)
- parker (stationner, garer)
- passer une loi (voter, adopter une loi)
- peanut, pinotte (arachide, cacahuète)
- pedigree (description, CV…) (ne s’utilise en France que pour un animal de race)
- pet shop (animalerie)
- pitcher (lancer, balancer)
- place (lieu, endroit…) (ne s’utilise en France que pour une place dans une ville – ex. : la Place d’Italie – ou pour un siège dans une voiture, un bus…)
- plancher (floor) (étage)
- plugger (brancher)
- plywood (contreplaqué)
- préjudice (préjugé)
- preview (bande-annonce)
- puncher (perforer, pointer…)
- Q-tip (coton-tige)
- rack (casier, panier, étagère….)
- rough (brut, brutal)
- route (itinéraire)
- runner (circuler, fonctionner, conduire, gérer…)
- runway (piste)
- rush (affluence, ruée, période de pointe)
- scrap (casse, débris…), scrapper (démolir, bousiller)
- sécure (en sécurité, sûr, tranquille)
- shack (cabane, bicoque)
- shaker (trembler, vibrer)
- shape (forme)
- shed (hangar, dépôt…)
- shipper (expédier)
- shop (usine, atelier, boutique)
- shot (coup…)
- show (spectacle, numéro)
- slack (mou, lâche, dévissé…)
- slow (lent, au ralenti)
- smatte (smart) (aimable, fin, habile…)
- spark plugs (bougies d’allumage)
- splitter (partager)
- spot (point, eplacement)
- spotlight (projecteur)
- spotter (repérer, matter)
- spread (pâte à tartiner)
- stage (estrade, scène…)
- stainless (acier inoxydable, inox)
- steamé (vapeur, à la vapeur)
- step (bond, saut, pas), stepper (bondir, sauter)
- storage (entreposage, garde-meubles)
- straight (honnête, droit, strict, de suite, hétéro)
- strap (bandoulière, courroie, lanière)
- stretché (extensible)
- suit (costume, combinaison)
- switch (interrupteur, bouton), switcher (changer, passer de.. à..)
- ticket (contravention)
- timer (chronométrer)
- tip (pourboire)
- toffe/tough (pénible, tenace, dur), toffer (persévérer, tenir bon, endurer)
- touer (tow) (remorquer)
- toune (chanson, air)
- truck (camion), trucker (camionneur, chauffeur routier)
- truster (faire confiance à), trustable (fiable)
- twister (tordre, entortiller)
- update (mise à jour)
- U-turn (demi-tour)
- van (semi-remorque, fourgonnette)
- waiter, waitress (serveur, serveuse)
- watcher (surveiller, guetter)
- windshield (pare-brise)
- wiper (essuie-glace)
- yes-man (courbeur d’échine, marionnette)
- zipper (fermeture éclair, fermeture à glissière)
…. et beaucoup d’autres…
Et après, on viendra se plaindre que les Français utilisent trop de mots anglais, alors que les vertueux Québécois protègent la langue française à merveille, pas comme les Européens qui ne pensent qu’à utiliser « parking » et « shopping » pour faire snob !
Oui, la volonté politique québécoise de protéger le français est bien plus forte qu’en Europe, mais la manière dont on parle au quotidien, c’est une autre histoire !
Tout ça pour dire que chacun parle comme il veut, mais répéter 100 fois à un Français que les Français utilisent plein de mots anglais « pour fair snob » finit par le rendre susceptible sur la question, surtout quand il se rend compte, les mois passant, que ses cousins québécois utilisent bien plus d’anglicismes que lui !
Voilà… C’est dit! 🙂
Dictionnaire québécois
http://www.fredak.com/dicoquebec.htm