On parle d’un « échec », d’une « claque » pour l’alliance qui a obtenu le plus de députés, et de grands « gagnants » pour les partis qui en ont eu moins d’une centaine. Vu d’une autre démocratie européenne, l’analyse de nos médias est incompréhensible.
Partout ailleurs, quand on obtient 42% des sièges, suivi par un parti qui plafonne à 15%, on est considéré comme le grand gagnant ! Partout ou presque. Pas en France.
Pas dans ce pays aux réflexes encore monarchiques où l’on considère qu’un Président soutenu par (seulement) 27,8% des électeurs au premier tour, devrait, par miracle ou par réflexe moutonnier, automatiquement doubler son score entre les deux élections pour bénéficier d’une majorité absolue. Il est vrai que cela avait généralement pour habitude de fonctionner comme cela jusqu’à maintenant. Eh bien ce n’est plus le cas… et tant mieux !
Je dis « tant mieux », car le Parlement revient enfin au centre du jeu. Chaque parti, et la voix de chaque député va désormais compter. Mais cela ne m’empêche pas d’être inquiet, bien sûr.
Avec 42,4 % des sièges et 38,6 % des voix au niveau national (10 points de plus que le 10 avril), la coalition « macroniste » reste – de loin – la première force politique à l’Assemblée nationale. Mais fini le réflexe moutonnier et le temps où l’on considérait le Gouvernement comme la garde rapprochée du Président, et l’Assemblée comme une chambre d’enregistrement du Gouvernement.
Les Français vont pouvoir enfin (re)découvrir ce qu’est un Parlement, ce que sont des tractations entre différentes forces politiques pour obtenir un Gouvernement, puis une majorité sur tel ou tel texte de loi. Comme dans une vraie démocratie. Et qui sait, peut-être qu’on redécouvrira même un jour aussi l’expérimentation locale et par le référendum. Il serait temps d’utiliser ces outils prévus par la Constitution, qui ne s’usent que lorsque l’on ne s’en sert pas !
Reste à voir si nos députés et l’exécutif seront capables de mener ensemble un tel exercice démocratique, ce qui n’est pas sûr du tout, et c’est cela qui m’inquiète.
Hier soir, personne n’a vraiment gagné ou perdu. Les gagnants ont été donnés comme battus car ils ont reçu une leçon d’humilité et vont devoir s’ouvrir aux autres. Les perdants sont satisfaits soit car ils ont soit nettement renforcé leurs positions – tout particulièrement LFI et le RN – soit car, même en ayant perdu la moitié de leurs députés dans une déroute historique, ils vont être très courtisés, en position de « faiseurs de rois » : c’est le cas des LR.
Alors, comme personne n’a vraiment gagné ou perdu, nos commentateurs favoris sont désarçonnés, n’arrivant pas à sortir de l’ultra-personnalisation simpliste du débat autour d’E. Macron dans laquelle lui et eux nous ont enfermés depuis 2017.
À mon sens, les Français ont pourtant envoyé un message clair, qui n’est pas du tout « Macron démission » (si c’était cela, « Ensemble » n’aurait pas obtenu 245 députés !), mais plutôt « Manu, on n’est plus au temps du Roi Soleil, tu vas devoir écouter les autres ! ».
Reste la question récurrente de l’abstention. Celle-ci devient chronique, et, à l’image de nos voisins suisses, il faudra bien s’y habituer. Ça n’empêche pas la Suisse d’être une grande démocratie.
Hier, ni Macron, ni Mélenchon n’a gagné. Ils n’étaient de toute façon pas candidats. C’est la démocratie, et tout particulièrement la démocratie parlementaire incarnée par nos 577 députés, qui a gagné. Et si tous les protagonistes arrivent à relever le défi, cela peut être une vraie chance !