Pour reposer le contexte, on doit rappeler que notre système de retraites, tous régimes confondus, semble à première vue équilibré, voire excédentaire, mais il ne l’est que parce qu’il est abondé par l’État à hauteur d’une trentaine de milliards d’euros par an ! Alors certes, ce déficit est couvert, mais il est financé par nos impôts ! Avec 30 milliards de déficit récupérés, l’État pourrait réduire le déficit de son budget (et donc la dette qui explose toujours plus chaque année), soit faire autre chose (comme mieux payer les fonctionnaires : soignants, policiers, etc.).
En partant du principe qu’on ne peut pas diminuer les pensions, on se retrouve devant un choix finalement assez simple : ne rien changer, c’est-à-dire continuer de ponctionner le contribuable pour soulager les cotisants, ou bien augmenter la masse des cotisations pour soulager le contribuable (et le futur contribuable). Et pour augmenter la masse des cotisations, on n’a que deux leviers : augmenter leur montant, ou allonger la durée de cotisation.
Ensuite, on parle toujours de l’âge à partir duquel on a le droit de partir à la retraite, mais peu de deux autres données très importantes : la durée de cotisation, et l’âge de départ à taux plein pour une personne qui n’a pas cotisé suffisamment longtemps. Or, la première ne devrait augmenter que d’un an – de 42 à 43 ans – et le second ne variera pas d’un iota, toujours fixé à 67 ans ! Il faut dire que sur ces deux critères, la France est plutôt dans la moyenne haute en Europe, et là, on se garde bien de faire des comparaisons.
Pour les personnes qui ont commencé à travailler avant 21 ans et ont leurs trimestres, l’âge de départ sera de 63 ans (le gouvernement venant de lâcher un an de « ristourne »), donc elles pourront partir 4 ans plus tôt que quelqu’un qui est entré tard sur le marché du travail, mais un an plus tard qu’aujourd’hui.
Certes, depuis 1970, l’espérance de vie a augmenté de plus de 10 ans. En 1970, un homme partait à la retraite à 64 ans en moyenne, et dès lors, il avait moins de 3 ans d’espérance de vie ! Aujourd’hui, s’il part au même âge, il lui reste 16 ans (et plus de 21 ans pour une femme). L’espérance de vie en bonne santé, elle, est inférieure et augmente moins vite. Mais quand on voit tous ces dessins qui représentent des vieillards en train de travailler avec un déambulateur, il ne faut pas exagérer non plus : à 64 ans, si on est malade, il existe des dispositifs pour partir en retraite plus tôt, et quand on est à peu près en forme, on n’est pas non plus grabataire ! Et on ne peut pas contester que l’équilibre actifs / retraités n’est plus du tout le même, et qu’il faut faire quelque chose. Si cette réforme pouvait permettre un vrai retour à l’équilibre en soulageant les finances de l’État, tout en maintenant le même niveau de cotisation et en ne nous faisant travailler en moyenne 1 à 2 ans de plus, et avec un peu plus d’équité, alors pourquoi pas !
Mais ce n’est pas le cas !
On nous explique que la réforme rapportera au mieux 18 milliards, voire moins (on parle aujourd’hui plutôt de 10 milliards). Donc on est loin de l’équilibre !
Quid de la pénibilité ? Toujours pas correctement prise en compte, voire encore plus mal considérée qu’actuellement.
Quid de la convergence entre les régimes, de l’articulation avec les caisses complémentaires ? Pas de changement, on conserve l’usine à gaz actuelle.
Quid de la retraite à points dont on parlait en 2017, qui permettrait de cotiser davantage pour partir plus tôt ? Enterrée !
Bref, en guise de « réforme », on n’a qu’un banal et bancal ajustement de curseur, qui crispe tout le monde, et surtout, pose des jalons pour plusieurs décennies, hypothéquant ainsi les chances de faire une vraie réforme plus tard.
Était-ce vraiment si urgent d’imposer des changements brutaux qui ne permet même pas de trouver l’équilibre, et qui ne résout rien des injustices du système actuel ?
Et pourquoi imposer cela (partiellement) même aux personnes qui ont déjà 60 ans passés, et ont donc le sentiment de se « faire avoir » ; ne pouvait-on pas échelonner davantage ?
Au lieu de ces tripatouillages au forceps, une vraie réforme des retraites consisterait à mon humble avis à :
- fusionner tous les régimes, y compris ceux du public avec ceux du privé. Plus facile à dire qu’à faire, mais si c’est pour ne même pas faire cela, à quoi bon mettre près de deux millions de Français dans la rue !? Précisons ici que le public, hors régimes spéciaux, est loin d’être si avantagé qu’on ne l’imagine, et une convergence serait tout à fait possible.
- établir la pénibilité sur la base de l’espérance de vie sectorielle, plutôt que sur la base de négociations permanentes qui conduisent à d’innombrables aberrations. On sait qu’un ouvrier vit en moyenne 6 ans de moins qu’un cadre, et encore moins qu’une femme cadre. Donc qu’il puisse partir 6 ans plus tôt ne serait donc pas aberrant…
- ne plus se baser sur les trimestres mais sur des points en fonction des heures travaillées, à pondérer ensuite par un indice à définir, qui évoluera en fonction de l’inflation, et par la cotisation moyenne versée sur la carrière. Avec pour les métiers pénibles, une majoration de point entre 1 et 20%, qui permettrait par exemple à un ouvrier du BTP d’obtenir le même taux au moins 8 ans plus tôt qu’un cadre. Fini les histoires de taux plein, de durée minimum de cotisation, d’âge minimum ou maximum : chacun part à la retraite quand il le souhaite, et il touche le montant qui lui est proportionnellement dû.
- inclure un vrai système de mi-temps avec cumul emploi-retraite, pas seulement pour 2 ans mais pour n’importe quelle durée et à n’importe quel âge,
- intégrer les caisses complémentaires mais pour en garder la logique, permettre de choisir entre au moins 3 niveaux de prévoyance et donc au moins 3 niveaux de cotisation (standard, mini et maxi) en fonction de sa sensibilité et de ses projets de vie.
- partant de ces principes, mettre en place une gestion simplifiée et déconcentrée, avec des agences locales accessibles,
- et enfin, ce devrait être la dernière étape, étalonner le système pour qu’il parvienne à l’équilibre, en jouant sur l’indice et, légèrement si cela est encore nécessaire, sur le montant des cotisations.
J’ai sûrement oublié des éléments, mais malheureusement, dans la « réforme » actuelle, aucun n’y est !
Encore un gros point de frustration : on parle de retraite, mais on n’a pas vraiment ouvert le chantier des rémunérations en général, comme si la retraite n’avait rien à voir avec la carrière. Or, la façon la plus simple d’encaisser davantage de cotisations, c’est de mieux rémunérer les actifs ! L’unique financeur des retraites, en réalité, ce sont les entreprises. Donc il faut prendre le revenu à la source avant de vouloir améliorer les revenus qui en découlent. Dans un tel contexte proche du plein-emploi, il est temps de s’y attaquer sérieusement, et là aussi, les syndicats ont tout leur rôle à jouer, notamment pour renforcer les grilles salariales et mieux rémunérer les missions à forte pénibilité tout au long de la carrière. Mieux un ouvrier du BTP ou un soignant sera rémunéré, plus vite il pourra partir en touchant une retraite acceptable même sans être à taux plein.
Et jusque-là, on a parlé de fond, mais pas encore de forme. Et c’est là que le bât blesse encore plus à mon sens.
Les retraites sont gérées par ce qu’on appelle les « partenaires sociaux », ou dit plus simplement, les syndicats (des salariés d’une part, et des employeurs d’autre part). Avec un gros financement de l’État, certes, mais lesdits syndicats devraient être à la manœuvre. Pendant toute la crise sanitaire, le gouvernement et les syndicats ne pouvaient certes pas décider grand-chose, mais ils ont eu plus de 2 ans pour se poser et travailler ensemble sur une vraie réforme. Or, une fois de plus, on le Gouvernement a court-circuité les corps intermédiaires et a voulu tout décider d’avance dans la précipitation, même dans un domaine sur lequel il n’est pas censé être le principal décisionnaire, et ce en ne semblant pas vraiment tenir compte des nombreux rapports et travaux sur ce sujet. Dont ce qu’a pu écrire le fameux COR (Conseil d’orientation des retraites), qui a été écouté, mais de manière très sélective !
Passons rapidement sur l’opposition qui n’aura pas été très utile. La NUPES avait déjà fait comprendre qu’elle ne voterait pas la loi, même avant d’en avoir vu le contenu. Donc à quoi bon négocier… Et le RN lui, a toujours exigé des critères irréalistes (départ universel à 60 ans…) sans pour autant vraiment remettre en cause le fonctionnement actuel. « Next ». Il ne reste alors que les LR, en « faiseurs de roi ». Pour eux, c’est compliqué. Cette réforme, c’est ce qu’ils voulaient, mais sans avoir réussi à la faire. Donc difficile de ne pas la voter. En tout cas, ladite réforme ressemble donc fatalement à une bonne vieille réforme de droite, avec une communication qui rappelle le très balladurien « il faut savoir faire des sacrifices ».
C’est toute la démocratie française que cette réforme met encore à l’épreuve. Tant d’énergie, de débats, 20 000 amendements, peut-être un 49-3, ou le 47-1, moins connu mais tout aussi redoutable puisqu’il permet de passer par des ordonnances lorsque le débat s’enlise… Dans tous les cas, on humilie encore une fois le Parlement pour un projet qui n’était pas urgent et qui consiste essentiellement à changer un chiffre.
Enfin… Ce n’est peut-être pas la catastrophe annoncée par les syndicats, mais c’est la montagne qui accouche d’une souris !
Just my opinion…